Interview
Interview avec le stagiaire français Antonin Dubois
S. Zinke : Monsieur Dubois, comment en êtes-vous venu à faire un stage aux Archives de l’Université d’Heidelberg ? Vous auriez pu en choisir un autre, avec les multiples possibilités que sont les musées, collections, etc., qui cherchent toujours des stagiaires. Donc, pourquoi les archives ?
A. Dubois : Tout d’abord parce que j’ai déjà passé de nombreuses heures aux Archives de l’Université pour travailler sur mon mémoire de Master. J’ai commencé ici des recherches fin 2013, jusque vers mi-mars 2014. Je suis ensuite revenu de temps en temps. Le travail « derrière les coulisses » m’intéressait tout particulièrement. J’ai pensé qu’il pourrait être stimulant de connaître l’autre côté des archives, comment tout fonctionne, par exemples d’où proviennent les dossiers.
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S.Zinke : Pour quelqu’un de très jeune, vous vous intéressez pour une période très ancienne. Le thème de votre recherche traite de la période de 1870 à 1914. Ce sont plutôt des personnes plus âgées qui s’en occupent généralement. Lorsque vous étiez simple visiteur, qu’elle a été votre expérience dans la salle de lecture ?
A.Dubois : Je n’ai rien remarqué de la sorte. Des collègues travaillent sur des périodes beaucoup plus anciennes, rédigeant par exemple leur thèse ou leur mémoire de Master sur des thèmes médiévaux. Je ne pense pas m’intéresser pour une époque si ancienne. Pour ce qui concerne la salle de lectures, je n’ai pas eu l’impression que les utilisateurs étaient particulièrement vieux.
S. Zinke : Il est particulièrement intéressant pour moi de savoir pourquoi vous avez choisi Heidelberg.
A.Dubois : Mon cursus de Master est une coopération entre l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) à Paris et l’Université d’Heidelberg. Bien sûr, cela s’accordait très bien à mon sujet de recherche, puisqu’Heidelberg est une des villes universitaires les plus réputées d’Allemagne. La vie des corporations étudiantes au XIXe siècle y était particulièrement active. Si cette coopération avait par exemple été entre l’EHESS et l’encore jeune Université de Constance, j’aurais du trouver une autre université comme objet de recherche. Heureusement ce ne fut pas le cas.
S.Zinke : Vous vous êtes décidé pour un stage aux Archives de l’Université d’Heidelberg et étiez durant quatre semaines chez nous. Il est très intéressant que vous ayez été à la fois utilisateur et chercheur mais également stagiaire pour (malheureusement seulement) quatre semaines. Comment était-ce pour vous ? Est-ce que vos perspectives s’en sont trouvées changées ou améliorées ?
A.Dubois : Comme utilisateur, tout s’est très bien passé. Au tout début, nous avons eux quelques difficultés aves les dossiers, car il y avait un deuxième chercheur du nom de Dubois et nous ne savions jamais quels dossiers appartenaient à qui. Comme stagiaire, il était particulièrement intéressant de voir en tant qu’ancien utilisateur, comment fonctionnait l’arrière-plan, notam-ment le classement des dossiers ou comment on mène une recherche pour un utilisateur. Les deux furent pour moi très enrichissant. Le stage m’a permis de travailler avec des archives dif-férentes de celles que j’utilise pour mes recherches, comme les tracts par exemple.
S.Zinke : Pouvez-vous expliquer plus précisément ce que vous avez fait durant votre stage ? Vous avez pu obtenir un aperçu relativement large des Archives. Comment s’est passé le travail dans les deux langues ?
A. Dubois : Il n’y a pas eu de problème avec les langues. Nous avions de toute façon – et j’en suis content – discuté des thèmes qui m’intéressaient avant le début du stage lors d’un premier rendez-vous. J’ai trouvé ça bien de savoir ce que j’allai faire et comment le stage allait se dé-rouler. Bien que je ne sois pas traducteur, il a été très intéressant de travailler sur la traduction du site internet, en sachant que ça pourrait faciliter la prise de contact avec les Archives d’autres potentiels chercheurs français. Le travail avec les tracts n’était certes pas toujours fa-cile mais de ce fait encore plus stimulant. J’avais déjà suivi un séminaire lors de mes études à Bamberg sur les mouvements de mai 1968 comme événement global (notamment en comparai-son entre la France, l’Allemagne et les États-Unis). J’avais donc déjà une certaine connais-sance de fond de ces thèmes. De ce fait, il était particulièrement intéressant de pouvoir lire directement les tracts, de connaître le mouvement de « première main » et ce sur quoi ils ont écrit (ou n’ont pas écrit). Particulièrement instructif fut la découverte des très nombreux et divers groupes de cette époque.
Il était également très instructif de pouvoir découvrir ce sur quoi les étudiants écrivaient leur doctorat, quels professeurs les encadraient. On remarque par exemple qu’avant les années 1870, il n’y avait presque que des sujets de sciences naturelles à la Philosophische Fakultät [Faculté de Philosophie, qui regroupait de fait la littérature, les sciences humaines et les sciences mathématiques et naturelles]. Dans le dernier tiers du XIXe siècle il y a beaucoup plus de thèses en philosophie ou littérature. Parfois ces sujets portaient sur des thèmes très particu-liers…
S. Zinke: Vous voulez dire pour des Français ou en général ?
A. Dubois: Pour aujourd’hui. Personne ne ferait plus sa thèse aujourd’hui sur le chemin de fer dans le Palatinat en 1912-1913. C’est ce qui rendait le travail aux archives très intéressant. Il permettait également de parcourir un peu les biographies des professeurs.
S. Zinke: J’aimerais revenir encore une fois sur les tracts. Ils ne constituaient pas seulement votre focus, mais vous avez eu avec ce travail, je crois, le plus de plus-value, du fait notam-ment avec la perspective sur la France. Vous avez suivi ce séminaire à Bamberg. Qu’avez-vous appris dans nos tracts, qui sont surtout concentrés sur l’histoire régionale et locale d’Heidelberg ? Est-ce que votre perspective s’est transformée ?
A. Dubois: Du fait que nous n'avons pas étudié le phénomène de 1968 d’un point de vu micro mais macro, le séminaire à Bamberg était relativement théorique. Nous nous sommes concen-trés sur les origines et le développement du mouvement. Nous travaillions dans une perspec-tive comparée par exemple sur les relations entre étudiants, ouvriers et professeurs. Pour la rédaction de mon mini-mémoire, j’ai travaillé sur les journalistes français durant les événe-ments de mai 68 en traitant de thèmes comme les causes de la grève et ses conséquences. De ce fait, je ne me suis pas penché particulièrement sur les étudiants. Il y a cependant bien évi-demment eu des exposés sur les agitations étudiantes en Allemagne et aux États-Unis. Grâce à la lecture des sources, ma connaissance sur ces questions est cependant bien plus précise et concrète…
S. Zinke: Donc vous êtes déjà très familier des archives et des séjours en archives ?
A. Dubois: Oui, et à vrai dire plus en Allemagne qu’en France. Je me suis déjà rendu en tant que lecteur dans plusieurs archives en France. Dans le cadre d’un séminaire je me suis égale-ment rendu aux Archives diplomatiques à la Courneuve (vers Paris).
S. Zinke: Que peuvent tirer des Français qui étudient l’histoire non pas que dans une perspec-tive française mais globale de la lecture des tracts ? Est-ce que cela concerne un changement de perspective, par exemple des Allemands qui voient des Français ? Cela a toujours quelque chose à voir avec les préjugés, même lorsque l’on est universitaire. Peut-on interpréter quelque chose grâce aux tracts ? Peuvent-ils servir à des étudiants français en histoire ?
A. Dubois: Dans les tracts mêmes, il y était assez peu question de la France. Il y avait plutôt des textes d’étudiants étrangers, par exemple d’Irak ou du Pakistan. Lorsque l’on s’intéresse à ces thématiques, ces fonds riches sont tout particulièrement à conseiller. Si l’on veut mener une étude locale, ils peuvent se révéler également intéressants. Cela pourrait également éven-tuellement servir à une comparaison avec une ville française, peut-être Paris excepté, qui pour-rait donner des résultats intéressants – par exemple Toulouse ou Lille. Comparer Heidelberg avec une ville universitaire française pourrait être réalisable, il doit certainement exister des fonds d’archives similaires.
S. Zinke: Il serait également passionnant de savoir les thèmes que les étudiants et acteurs poli-tiques français ont pris en considération, si par exemple la question du Vietnam fut aussi mobi-lisée qu’en Allemagne. Il est possible d’évaluer différemment de nombreux thèmes politiques sur la base de sa culture propre. Avez-vous également à ce sujet des expériences avec des tracts français ?
A. Dubois: Malheureusement pas pour cette époque. Mais je pense que la problématique inter-nationale générale (guerre du Vietnam, politique étrangère américaine, démocratie) était com-mune aux différents mouvements. A Heidelberg, la politique d’assainissement de la vieille ville joua un rôle de premier ordre. Il ce peut que cela fut également le cas autre part (en France) – je ne le sais pas exactement. Ce sont aussi éventuellement des facteurs différents en Allemagne qui ont joué dans les demandes de transformation de la politique intérieure – en France le Général de Gaulle était au pouvoir depuis 10 ans et les jeunes manifestants souhai-taient un changement. Il pourrait donc être intéressant de comparer les relations au pouvoir entre la France et l’Allemagne. C’est ainsi : il y a toujours des problématiques communes et des questionnements propres.
S. Zinke: Est-ce que cela vaudrait le coup pour vos camarades français de venir faire un stage au Universitätsarchiv ?
A. Dubois: Je pense qu’il faut dans tous les cas s’intéresser pour l’histoire et plus particulière-ment pour l’histoire de l’université et des étudiants. J’ai beaucoup aimé travailler sur les tracts. Cela vaut également, même si l’on n’écrit pas un mémoire sur l’histoire universitaire, car il est possible de travailler sur des thèmes très divers. De ce fait, je pense que cela pourrait être inté-ressant pour beaucoup.
S. Zinke: …Et au niveau linguistique ? Auriez-vous des conseils sur les capacités qu’il faudrait posséder ? Vous connaissez votre propre niveau, qui est très haut.
A. Dubois: Au début je crois que c’est un peu compliqué de lire les documents. Cela concerne également les tracts, dont le vocabulaire n’est pas toujours celui de l’allemand commun d’aujourd’hui. Pour des débutants, ce serait sûrement difficile, car il y a des choses assez compliquées. Mais si l’on possède de bonnes connaissances linguistiques…
S. Zinke: …mais que sous-entendez vous dans ce contexte par bonnes connaissances linguis-tiques ?
A. Dubois: Il est indispensable, de bien pouvoir lire l’allemand. Même dans les documents imprimés on n’a pas besoin de tout comprendre en détail, il n’est pas nécessaire de comprendre chaque mot parfaitement. Mais le niveau de langue doit suffire, pour comprendre le sens géné-ral des textes.
S. Zinke: Si j’ai étudié l’allemand au lycée jusqu’au bac, est-ce que cela suffit ? Ou est-ce que je dois déjà commencer à apprendre l’allemand au collège ?
A. Dubois: Je suis un mauvais exemple, car mon niveau d’allemand n’était pas très bon après le bac. Ce n’est que grâce à mon année à Bamberg que j’ai pu vraiment améliorer mon alle-mand. Certains possèdent cependant dès le bac un très bon niveau.
S. Zinke: Vous donnez donc du courage aux personnes qui n’étaient pas forcément très fortes en allemand après le bac.
A. Dubois: La meilleure solution fut simplement d’écouter des cours et de discuter. Bien plus efficace que n’importe quel cours de langue ! Ceux-ci sont bien, afin d’apprendre la gram-maire, mais rarement pour pouvoir parler (souvent du fait du trop grand nombre d’élèves). Et lorsque l’on est qu’entre étrangers, il est difficile d’améliorer son niveau, car on ne parle qu’entre personnes qui font des fautes.
S. Zinke: Que tirez-vous de votre stage ici ? Avez-vous simplement passé quatre belles se-maines ou un peu plus ?
A. Dubois: Oui ce furent quatre belles semaines. J’ai cependant également vraiment trouvé que ce fut passionnant de travailler sur des thèmes différents, car je me suis concentré exclusive-ment sur mon mémoire de Master ces derniers mois. J’ai également apprécié le travail de re-transcription.
S. Zinke: Monsieur Dubois, merci pour la discussion !
A. Dubois: Volontiers !